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Café théologique/Auch 17 novembre 2012/De qui suis-je le prochain ?/Quelques réflexions pour une anthropologie chrétienne fondée sur la « faiblesse »

 

CAFE THEOLOGIQUE, AUCH SAMEDI 17 NOVEMBRE 2012 AVEC CHRISTIAN GINOUVIER

De qui suis-je le prochain ?

Un être chrétien plus « faible » pour des relations humaines plus « fortes »

 

 

Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui est tombé aux mains des bandits ? (Luc 10/36)

 

Ce qui est faible dans le monde, Dieu l’a choisi pour confondre ce qui est fort… (1 Cor. 1/27)

 

 

1. INTRODUCTION

 

1.1. Les motivations

 

1.1.1. Après la métaphysique et avec la fin des idéologies, après la chute du mur est-ouest et avec l’avènement de la mondialisation qui nous découvre toujours plus proches les uns des autres - même avec les peuples les plus lointains -…

Comment penser et faire surgir un sujet apaisé, ouvert, disponible et qui devant les autres et leurs différences a enfin baissé la garde, est moins arrogant ?

 

1.1.2. Un sujet en dialogue avec les autres, confrontant ses convictions, partageant ses idées, contribuant ainsi à l’énoncé de nouvelles propositions, de nouveaux projets, participant à la mise en place d’une chose commune  pour reprendre l’expression du philosophe Etienne Balibar dont nous évoquions les idées l’année passée (Café théologique du 19 novembre 2011 : « Qu’y a-t-il entre toi et moi ? »).

 

> Etienne Balibar refuse d’entrer dans des dilemmes selon lui tout à fait artificiels : sujet ou structure, réformisme ou révolution, particularisme ou universalisme, droits formels ou droits réels, liberté ou égalité, ou encore élections politiques ou manifestations de rue (les anarchistes, les « indignés » !)…

Pour lui, aucun de ces termes, ne va sans l’autre. Serait-ce son contraire. Tous s’agglomèrent pour composer une sorte de cause commune, tous coopèrent -de façon dialectique- en vue de synthèses dynamiques et créatrices !

Les différences humaines, différences d’ethnies, de genre ou de « normalité » psychologique, loin de donner raison aux discours tenus habituellement sur l’altérité -tout le monde est différent, point barre-, construisent au contraire les fondations même de l’universel.

Non pas un universel figé et dominateur, qui nous ramènerait peu ou prou sous la tyrannie du structuralisme ou de quelque chose de comparable, mais, selon une de ses expressions: une chose commune, une cause commune, produite à chaque instant, par tous et par chacun, dans une perpétuelle reconfiguration :

(en fin de compte) un universel enchevêtré de différences.

 

1.1.3. Un sujet apaisé, en dialogue et cependant toujours marqué par l’individualisme, le quant à soi, l’expertise personnelle (chacun a un avis sur tous les sujets), l’assurance que mon opinion est fondée et juste (la preuve c’est que j’ai raison), en tous les cas qu’elle vaut bien toutes les autres…

Les grands idéaux ayant le plus souvent fait place aux « c’est ce que je pense, un point c’est tout », comme je le faisais remarquer lors d’une rencontre plus ancienne encore de notre Café Théologique, c’était je crois en juin 2008 sur « Parole et Vérité ».

 

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> J’y évoquais le risque que chacun fasse dire au texte biblique (mais ce pourrait être sur toute sorte de questions telle la politique) un peu ce qu’il veut, au petit bonheur la chance, que, chacun concoctant sa petite vérité, le texte ne soit plus qu’un prétexte à l’énoncé de nos convictions individuelles. Tel un drapeau. Ou un simple justificatif…

Le risque que chacun se prenne pour un expert, et pour un expert à part entière.

 

1.1.4. Un sujet par ailleurs souvent repris par les réflexes communautaristes, intégristes, nationalistes, tenté par le séparatisme et l’indépendance au point de créer de grandes tensions avec celles et ceux qui sont encore, qui sont toujours ses compatriotes, et au point de faire éclater des manifestations de violences au sein mêmê de ce qui est encore leur nation, et cela au nom des ses intérêts comme au nom soit disant de la patrie ou du peuple ! (Catalogne, Ecosse, «Padanie»).

 

>>               1.1.5. Toutes choses qui, me semble-t-il, rendent plus pertinente que jamais, pour les chrétiens et pour les églises, l’utilité de réévaluer leur témoignage et de redéfinir un être chrétien (ou une manière d’être chrétien) moins soumis à l’ego, au moi, à ses ambitions et ses prétentions…

Un être chrétien (ou une manière d’être chrétien) que je qualifierais de faible ou d’affaibli, pour reprendre la terminologie d’un courant philosophique emmené par un Jean-François Lyotard ou un Gianni Vattimo.

Un être chrétien (ou une manière d’être chrétien) que l’on pourrait aussi bien qualifier de discret, humble, sobre ; ou aussi attentionné, bienveillant, dévoué, disposé au service ; ou encore libéral, ouvert à d’autres sensibilités, œcuménique, en quête de partenariat avec le plus grand nombre…

 

2.2. Le motif

 

2.2.1. C’est la parabole du (Bon) Samaritain, que nous rapporte Luc 10/25-37, qui me sert de motif, en tous les cas de point de départ à une réflexion non plus sur moi mais sur l’autre comme sujet central, non plus sur moi et sur ce que je dois dire et faire mais sur ce que l’autre peut attendre que je dise ou fasse.

Le Samaritain est un bel exemple d’un sujet qui ne pense pas systématiquement en fonction de lui-même, aurait-il pourtant de bonnes raisons de chercher à se protéger (!)…

Mais qui à l’inverse sait prêter vraiment attention à l’autre, sait le mettre en avant, à la première place, au centre :

Ce n’est pas lui, c’est la victime des bandits qui est le sujet important de l’histoire.

 

2.2.2. Le Samaritain ne se dit pas : Ah ! Qu’est-ce que je vais pouvoir faire de bien aujourd’hui, quelle va être ma B.A. ? Comment pourrais-je afficher mes convictions et faire valoir ce qu’elles ont de supérieures, comment pourrais-je faire résonner mon témoignage haut et fort ?

Non. C’est un Samaritain, faut-il le souligner, c’est-à-dire une personne de qualité inférieure aux yeux d’Israël à cette époque, et par conséquent un être relativement « faible », rien à voir en touts les cas avec ces personnages importants qu’étaient le prêtre ou le lévite qui sont passés avant lui.

Or, c’est ce Samaritain, cet être « faible » allant discrètement son  chemin, le plus discrètement possible, essayant en tous les cas de se faire remarquer le moins possible, qui, c’est Luc qui le précise, voyant la victime, fut ému et s’approcha

 

>>               2.2.3. Le plus important dans cette histoire, ce n’est pas lui, le Samaritain, ce n’est pas moi le chrétien, c’est l’autre, entre autre cet homme tombé aux mains des bandits :

Suis-je quelque chose pour lui ? ou rien du tout à l’instar des deux autres personnages de la parabole ?

_______

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2. DES CONVICTIONS ET  DU TEMOIGNAGE

 

2.1. « Dans le monde » : Un être chrétien semblable à l’être au monde

 

2.1.1. Les églises prétendent volontiers que le christianisme serait tout à fait différent, qu’il ne ressemblerait à rien d’autre. Cependant, au fil des siècles, ces mêmes églises ont toutes peu ou prou contribué à en faire une religion très semblable aux autres. Formatée par les mêmes velléités de domination (être la seule vraie religion !), à tout le moins les mêmes tentations de s’affirmer, de se mettre en avant, de se faire valoir…

Ce qui est, dans le fond, assez compréhensible : les églises s’inscrivent dans le monde et sont influencées par le monde, à l’égal de toutes les institutions et de toutes les réalisations humaines.

 

> Pierre Gisel le rappelle tout au long de L’excès de croire (Desclée de Brouwer, Paris 1990) :

Croire…ne vit pas d’un espace préservé… Croire se noue au contraire dans l’exposition maximale au monde, au réel et au corps, là où je fais l’expérience du poids des choses…

> C’est aussi ce que fait remarquer Gianni Vattimo dans Après la chrétienté. Pour un christianisme non religieux (Calmann-Lévy, 2004) :

Il n’existe pas de modèle de vie chrétienne alternatif à celui que les engagements historiques et toujours contingents imposent à chaque fidèle, de même qu’il n’existe pas de connaissance de mystères qui seraient interdits aux non-croyants.

 

>>               2.1.2. Mais c’est justement parce que cette inscription du christianisme dans le monde est clairement établie, que les chrétiens et les églises doivent essayer de définir le plus clairement possible le message qu’ils sont sensés porter , qu’ils doivent essayer de décrire le plus clairement possible ce qui le caractérise, ce qui le distingue, ce qui en fait l’originalité.

Non pas parce que nous, nous sommes différents des autres, mais parce que ce message que nous sommes sensés porter est annonciateur d’un homme nouveau, d’une humanité nouvelle, - pour parler comme l’apôtre Paul - qui lui est radicalement différent.

En tous les cas que nous croyons radicalement différent. Et dont il nous faut donc essayer de faire entendre la différence, la spécificité.

Or comment faire entendre cette différence, cette spécificité si notre témoignage se réduit à un ensemble de convictions (aussi intéressantes, nobles et passionnantes soient-elles) contre d’autres convictions, à une série d’idées contre d’autres idées, dans une sorte de compétition des ego, et que les plus forts gagnent !

 

Essayer de faire bien entendre la différence, la spécificité du message que nous sommes sensés porter dans un monde souvent égotiste, péremptoire, où domine la force, c’est donc, non pas de répondre sur ce mode-là, par une autre force

Mais c’est adopter une toute autre attitude, marquée par la faiblesse, c’est adopter une façon affaiblie de témoigner, qui, à la fois, rende compte de ce qu’il peut y avoir de différent, de spécifique dans ce message, et qui soit fidèle à la façon dont parle et agit celui qui nous appelle à porter ce message, Jésus christ.

 

2.2. « Pas du monde » : Un être chrétien qui vit et dit autre chose que ce que le monde dit

 

2.2.1. Les convictions - y compris les convictions religieuses - sont une chose ; et le témoignage rendu à Jésus christ est autre chose, tout autre chose.

Bien sûr que c’est lié :

 

 

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Ainsi les convictions sont-elles faites pour qu’on les exprime, les mette en œuvre ; et le témoignage rendu à Jésus christ doit-il être évalué, questionné, travaillé par nos convictions communautaires (en particulier par la théologie) ou personnelles (en particulier par notre raison).

Néanmoins, ce sont deux choses différentes.

Qui se situent à des niveaux différents.

 

>>               2.2.2. Parce que si églises et chrétiens peuvent faire état qui de leurs doctrines propres, qui de leurs convictions propres, les unes et les autres sont principalement appelés à témoigner de quelque chose ou plus exactement de quelqu’un qui, lui, ne leur appartient pas en propre !

Ce qui demande non pas un surcroît de doctrines ou de convictions qui résonneraient plus haut et plus fort que jamais (déclarations péremptoires, assemblées nombreuses, prédicateurs et chefs religieux charismatiques, etc.) mais un témoignage spécifique, le plus précis et le plus fin possible, le plus original possible, c’est-à-dire également au plus près de l’original, je veux dire au plus près de ce que nous entendons et comprenons de Jésus christ tel que nous en parlent les écrits néo-testamentaires.

 

            > Pierre Gisel, dans l’ouvrage cité ci-dessus (pp. 138, 141), le dit fort bien :

(Mais) croire n’est pas ici décrire (dire ce que je vois, comprends, accepte, récuse, etc.), et croire dit autre chose que savoir (ce que je sais et fait mien comme partie constitutive de ma vérité). Croire, c’est en appeler à (quelqu’un), et c’est risquer un engagement. En d’autres termes : attester (témoigner) ; Croire, c’est entrer dans un mouvement où se signifient (s’expriment) plus que moi-même… et plus que le monde… Croire, c’est finalement se livrer : se risquer à ce qui dépasse la maîtrise…

Par delà (son inscription dans le monde), le croire noue un rapport à Dieu (rapport) qui est (fondé non pas un sur un «  je crois que » - qu’il existe, qu’il est tel ou tel - mais sur un « je crois en ») un « s’en remettre à Dieu »…

Et de conclure (p. 188) :

La foi et la théologie chrétiennes ont toujours à nouveau à montrer que vont de pair, au plus intime de nos existences, une incarnation maximale (nous sommes dans le monde) et une radicalisation de l’absolu (nous ne sommes pas du monde). Elles ont à montrer cette double face, à en témoigner, à en permettre et à en nourrir l’expérience.

_______

 

3. LA CROIX

 

            Parce que cette réflexion autour d’un témoignage faible ou affaibli ne repose pas simplement sur des impressions personnelles, ni sur la volonté de prendre à tout prix le contrepied de nos églises, ni même sur la conviction que c’est la seule forme valide de témoignage, que c’est la seule manière véritable d’être chrétien…

 

Cette réflexion que je mène avec vous repose essentiellement sur l’idée que la foi chrétienne ne se réduit pas à un ensemble de convictions mais vient d’une folle prise de risque où d’ailleurs nous ne sommes pas pour grand-chose mais un pas grand-chose bien plus préciux et fidèle que les proclamations ou les actions les plus ambitieuses

 

> Comme le dit très justement Pierre Gisel que nous citions à l’instant :

Croire, c’est finalement se livrer : se risquer à ce qui dépasse la maîtrise…

 Vous avez bien entendu : Se livrer, se risquer, dépasser la maîtrise !

Croire, c’est oser, s’abandonner, abandonner nos prétentions, c’est donc accepter un certain affaiblissement, c’est donc en passer par une certaine faiblesse !

 

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Cette réflexion repose essentiellement sur « un » Jésus christ qui ne ressemble pas beaucoup à la multitude des héros de toute sorte, ni même aux autres fondateurs de religion.

Cette réflexion repose essentiellement sur des témoignages néotestamentaires qui expriment des choses très détonantes sur ce que sont les attributs des disciples et sur ce que devraient être l’attitudes des croyants.

Mais voyons cela plus en détail.

 

3.1. A propos de Jésus Christ

 

3.1.1. Le Jésus christ qui ressort des écrits néo-testamentaires apparaît (en tous les cas m’apparaît) étonnement fragile, faible, affaibli en tous les cas. Assez éloigné du Christ en gloire, du Seigneur de la chrétienté.

Ou alors, et parce qu’il est vrai que cette fragilité, cette faiblesse, cet affaiblissement ne sont pas complètement subis par lui, mais acceptés ou même délibérément choisis, sa force réside-t-elle en toute autre chose que ce que les humains conçoivent généralement comme étant la force.

 

Un peu comme la parabole des Ouvriers de la Onzième heure qui est moins là pour dévaloriser les pratiques humaines que pour proclamer que le Royaume des cieux est d’une toute autre nature que ce que nous sommes habitués à nous représenter…

Jésus opérerait ici, pour lui, un renversement total des valeurs et des pensées humaines pour signifier qu’il intervient d’une autre façon, hors des modèles courants et en vue d’un changement plus fondamental des choses, entre autres des rapports humains :

Jésus Christ n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu. Mais il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur… Il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix… (Phil. 2/5-8)

 

3.1.2. Nous le savons, nous le répétons d’ailleurs, mais ce qui est révélateur c’est que nous n’en tirons pas toutes les conséquences : Jésus christ n’est pas trop là où on l’attend, surtout pas du côté de la force dans son acception mondaine, des affirmations péremptoires, des vérités toutes faites, des grands principes.

 

Ni où l’attendaient ses disciples, ses proches, les pharisiens ou les zélotes. Ni non plus où nous l’attendons nous aussi, nous qui nous rassurons à bon compte avec la suite de l’histoire (la résurrection, l’ascension, l’installation à la droite de Dieu, etc.) et avec le verset suivant de Philippiens (Phil. 2/9) :

C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom.

 

Car il ne faut pas mésinterpréter ce denier verset. Quoi qu’il en soit de sa gloire,  Jésus christ est bien toujours du côté des faibles en tout genre, des petits, des laissés pour compte, des battus, des mal-aimés, des incompris, des rejetés, des exclus, des malades, des infirmes, des aliénés, des gueules cassées, des mourants, des morts même.

Sa gloire - sa pauvre gloire - est toute là, auprès des faibles, faible parmi les faibles, partageant leurs souffrances, les aidant à porter leur croix :

prenant la condition de serviteur !

 

3.2. Propos de Jésus Christ

 

3.2.1. Cependant, à côté de ce qu’il est dit de Jésus christ il y aussi ce que dit Jésus christ.

 

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D’abord des propos révélateurs de l’attitude de Jésus christ,            attitude généralement plus discrète qu’on ne se la représente, à tout le moins plus attentive, plus à l’écoute, comme on peut le constater avec le récit que nous fait Marc (10/46-52) de la guérison de l’aveugle Bartimée, lorsque Jésus lui demande : Que veux-tu que je fasse pour toi ? (Il ne vient pas en sauveur, il n’est pas Zorro avant l’heure)

 

3.2.2. Ensuite des propos qui concernent directement toutes celles et tous ceux qui, comme plusieurs d’entre nous, se sentent appelés à témoigner ; et vous noterez alors avec moi que ce n’est pas évident, que loin de pouvoir en tirer fierté ou autre avantage, nous en tirerons plutôt un sentiment de grande faiblesse :

En effet, Jésus nous rappelle aux uns et autres qu’il faut tendre l’autre joue à qui nous frappe la droite (Matt 5/39).

Il intime aux plus belliqueux d’entre nous et à tous ceux qui sont prompts à fourbir leurs armes de rengainer leur épée (Matt 26/51-52).

Et il réaffirme à tous, à celles et ceux qui élèvent volontiers la voix et qui dénoncent à tout va comme aux plus indifférents (car c’est aussi là un des effets de l’ego) qu’il leur faut aimer jusqu’à nos ennemis (Matt. 5/43-45) !

 

3.2.3. Ce à quoi Paul se fait l’écho, en songeant que, fort heureusement, c’est Jésus christ qui le réalise à notre place :

            L’amour (de Jésus christ) croit tout, espère tout,  excuse tout, supporte tout ! (1 Cor. 13/7)

            Ce qui nous permet de faire la transition avec le chapitre suivant.

_______

 

4. SAUL-PAUL

 

La vie et l’œuvre de l’apôtre Paul éclaire de plusieurs façons notre propos.

 

4.1. Ambivalence des propose de Paul

 

4.1.1. Les épîtres dégagent une certaine ambivalence dans l’attitude et les discours de l’apôtre, ambivalence qui illustre bien les rapports entre convictions et témoignage.

 

Il y a d’une part, un Paul qui parle haut et fort, qui fait preuve d’autorité et que d’aucun juge autoritaire : tant qu’il parle de l’organisation et de la gestion des communautés, de la discipline qui doit y régner, de l’attitude que ses membres doivent adopter en toute circonstance,

Paul fait état de ses convictions, des siennes et de celles de son milieu et de son temps, peut-être de « son église ».

 

4.1.2. Il y a d’autre part, un Paul autrement plus humble et qui se fait petit, qui se sent non seulement faible mais indigne : dès lors qu’il parle de Jésus christ et qu’il témoigne de tout ce qu’il représente pour lui et pour le monde, Paul parle tout autrement, et si c’est souvent de façon claire et nette, on sent bien que ce n’est pas sans avoir pris d’infinies précautions, sans avoir tourné et retourné le sujet, comme le démontre par exemple la structure même de l’épître aux Romains, sans se demander si c’est bien comme cela qu’il faut dire les choses, et comment on pourrait les dire mieux…

 

Ainsi c’est le même Paul qui d’une part, assène que les femmes doivent se couvrir la tête quand elles prient ou prophétisent (1 Cor 11/5-6)… Et qu’elles devraient se taire dans les assemblées (1 Cor

 

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14/34-35) et qui d’autre part, témoigne que désormais, étant un en Jésus christ, il n’y a plus l’homme et la femme. (Galates 3/28b)

 

4.2. Des indices significatifs

 

4.2.1. Le changement de nom de l’apôtre (en réalité le changement d’un noble nom -Saul - en un simple surnom - Paul - !) était déjà une indication sur ce que représente de responsabilités très particulières le témoignage chrétien.

           

> Comme le note Giorgio Agamben dans Le temps qui reste (Rivages/Payot 2000, p. 23) :

La substitution du sigma (S) par le pi (P) ne signifie rien moins que le passage du royal à l’infime, de la grandeur à la petitesse – en latin, paulus veut dire petit, négligeable.

 

4.2.2. Et la façon dont l’apôtre envisage son ministère ne fait que le confirmer :

Paul, appelé (comme) serviteur du christ Jésus, mis à part (comme) apôtre pour l’annonce de Dieu. (Romains 1/1)

Paul se voit sous les traits d’un simple serviteur et même d’un esclave de Jésus christ. On relève dans ses épîtres pas moins de 47 occurrences de ce mot : doulos = serviteur, esclave (sur 127 dans tout le Nouveau Testament).

Et s’il se sent obligé d’accepter la vocation d’apôtre qui lui est faite, il n’en précise pas moins par ailleurs :

Je ne suis pas digne d’être appelé apôtre… (1 Cor. 15/9)

 

Il ne faudrait pas en conclure que Paul se méprise même si, par ailleurs, il va jusqu’à se traiter d’avorton (1 Cor 15/8). On sait qu’il ne manquait ni de fierté, ni d’orgueil.

 

4.3. La vocation chrétienne selon Paul

 

4.3.1. Seulement, depuis le chemin de Damas, Paul a compris que la vocation de témoin de Jésus christ oblige à une sorte d’effacement ou de dépassement de soi ; que le témoignage de Jésus christ nous amène à nous placer à un niveau non-mondain, non pas hors du monde et qui nie le monde mais qui soit sans tous les excès du monde.

 

> Ce qui fait dire à Giorgio Agamben (Opus cité, p. 44) :

La vocation messianique est la révocation de toute vocation.

 

4.3.2. Il n’est pas question de dire pour autant qu’il n’y a pas de vocation qui vaille, et que le témoignage est purement spirituel ; pas plus qu’il n’est question de se « démondaniser », de rejeter tout ce qui est du monde.

D’autant plus que le témoignage doit être le plus concret possible, qu’il doit s’incarner dans la vie de celles et ceux qui le porte.

 

>>               4.3.3. Toutefois, il doit être le fait d’hommes et de femmes qui apprennent à « faire un pas de côté » pour qu’apparaisse davantage celui dont ils témoignent, qui apprennent à affaiblir leur ego, leur moi, pour que ressortent autant faire se peut la vie et l’œuvre de leur Seigneur…

 

4.4. « Hos mé » paulinien

 

4.4.1. Paul emploie une formule : Hos mé, comme non, comme ne pas, difficile à traduire sans doute mais qui dit bien ce qu’elle veut dire :

 

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Serviteur, oui ! Apôtre, oui aussi, puisque j’y suis appelé ! Cependant sans abuser des prérogatives afférentes à ces fonctions, à ces statuts, mais véritablement pour le service du christ Jésus et pour le témoignage de Dieu.

Serviteur, apôtre, témoin, parce qu’il y en a besoin, parce qu’il faut bien incarner nos vocations, mais alors de façon faible, affaiblie, discrète, humble, sobre, comme en creux, qui ne fasse pas obstacle mais mette en évidence ce qui et qui doit l’être !

 

4.4.2. Il n’est pas toujours d’un accès facile mais je voudrais vous lire un autre passage du

> Le temps qui reste de Giorgio Agamben (Opus cité) :

L’hos mé semble être un terme technique essentiel du vocabulaire paulinien… Il apparaît comme un tenseur de type spécial…en tendant toute chose vers elle-même… il ne fait pas que l’effacer simplement ; il l’a fait passer,(il la dépasse), il en prépare la fin. (pp. 44, 45, 46).

Vivre de manière messianique (chrétienne) signifie « faire usage » de la klésis (la vocation) et, à l’inverse, la klésis (la vocation) messianique (chrétienne) est quelque chose dont on ne peut qu’user et qu’on ne saurait posséder (pp. 47-48)

 

>>               4.4.3. Ainsi, et j’en reviens à ce que je disais un peu plus haut :

En même temps que je vis ma vocation chrétienne et que je témoigne de ma foi selon des modalités mondaines sans lesquelles je ne saurais ni répondre à ma vocation, ni manifester ma foi, je dois essayer, autant faire se peut, de rendre compte de quelque chose et de quelqu’un qui est tout autrement que ce que j’essaie de vivre et de dire !

_______

 

5. POUR UN TEMOIGNAGE CHRETIEN AFFAIBLI

 

Je me permets de reprendre en 5.1 et en 5.2 quelques passages de ce que j’ai écrit sous ce titre (Pour un témoignage chrétien affaibli) dans le n° 180-181 d’Evangile et Liberté d’août-septembre 2004, pp. 2 et 3.

 

5.1. Une manière d’être autre que les manières mondaines

 

5.1.1. Ce témoignage chrétien affaibli n’est pas une relativisation, encore moins un abandon de ce qui nous fonde et nous anime. Ce n’est pas non plus un parti-pris misérabiliste ou masochiste au travers duquel nous confesserions que nous ne sommes rien et que Dieu est tout !

Au contraire même, c’est une façon d’être, et d’être pleinement !

Mais autrement que les façons mondaines : une façon d’être humble et sans puissance, d’être sinon à l’image de Jésus christ, au moins des témoins de Jésus Christ qui n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu. Mais qui s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur…

 

5.1.2. C’est aussi ce que suggère

> Gianni Vattimo dans Après la chrétienté (opus cité) :

De même qu’une pensée faible est plus attentive, plus tolérante, plus respectueuse de la considérable diversité des pensées et des pratiques de notre monde, de même un témoignage chrétien affaibli, livré aux interprétations, risqué parmi d’autres témoignages, est plus ouvert, plus œcuménique, plus en relation avec la (les) culture(s) ; autrement dit, de plain-pied avec tous nos contemporains, sans exclusive.

 

 

 

 

 

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5.2. « Des articulations et des jointures »

 

5.2.1. Ce témoignage chrétien affaibli s’il ne permet plus de se mettre en avant, de s’affirmer envers et contre tous, et de prétendre aux meilleures places, ne nous met pas moins dans une position hautement significative, puisque nous sommes appelés à nous retrouver aux

articulations, aux jointures, où notre rôle est rien moins que de bien coordonner et de bien unir. (Eph  4/16 et Col 2/19).

 

5.2.2. Sans doute y a-t-il parmi tous les chrétiens des membres plus éminents, des cœurs, des appareils respiratoires et digestifs, des yeux et des oreilles, de belles mains, des pieds qui soutiennent et avancent bien…

Mais, voyez-vous, je crois que tous ces membres éminents ont eux aussi vocation, à l’instar des membres les moins remarquables tels ces ligaments, ces coudes et ces genoux, de jouer également l’humble rôle d’articulations, de jointures, de liens, de (ré)conciliateurs, de « go between », d’intermédiaires, de passeurs, de tenant ensemble.

 

>>               5.2.3. Ainsi les mains ouvertes, tendues sont-elles signe de fraternité, de partage, de relation ; et les pieds qui me portent plus loin me font-ils le prochain de celles et ceux que j’y rencontrerai…

Ainsi, chaque membre à sa place, à son niveau, sans se prévaloir de son rang ou de ses prérogatives mais selon les dons et les moyens qu’il a reçu, atteste, manifeste simplement qu’en Christ, (il n’y a) plus des étrangers, ni des émigrés ; (nous sommes tous) concitoyens des saints, de la (même) famille de Dieu. (Eph 2/19)

 

5.3. Une anthropologie chrétienne fondée sur la faiblesse

 

5.3.1. En défendant ici devant vous une anthropologie chrétienne fondée sur la faiblesse, ou  l’affaiblissement, j’ai tout à fait conscience que je risque d’en troubler plus d’un et d’en mettre quelques autres en colère, et si cela devait arriver, je le comprendrais.

Car enfin, dans un temps où s’affichent des opinions qui perturbent notre bons sens, nos habitudes, tout ce que nous sommes arrivés à mettre à peu près en équilibre même instable, dans un temps où s’expriment aussi et non sans violence quelquefois des partis pris qui ne supportent pas la moindre contestation ni même la moindre divergence, il nous faudrait plutôt fourbir des armes, seraient-ce les armes de la foi !

Il nous faudrait durcir nos positions ecclésiologiques et théologiques, affirmer plus haut et plus fort ce en quoi l’on croit, exiger un engagement déterminé d’un plus grand nombre et ne plus souffrir tant de tiédeur.

Il nous faudrait aussi ne pas se laisser impressionner par les pouvoirs publics et la laïcité qui nous imposent trop de compromissions, à tout le moins trop de silence.

Pas plus qu’il ne nous faudrait se laisser impressionner par les autres porteurs de messages et autres producteurs d’idées et je pense ici non seulement aux autres croyants (juifs, musulmans, hindouistes, bouddhistes, etc.) et non-croyants ou aux philosophes, mais également aux catholiques romains, aux orthodoxes orientaux, aux protestants évangéliques avec qui, certes il nous faut dialoguer, mais qui, ce faisant, nous obligent quelquefois à trop de compromissions là encore, à tout le moins trop de tolérance.

 

5.3.2. Seulement voilà, mes Amis, c’est justement en réagissant comme cela que nous donnons dans le panneau, que nous disons et agissons peu ou prou comme les autres, comme tous les autres… que non seulement nous sommes dans le monde (ce qui est bien) mais que nous sommes également infiniment mondain (ce qui est plus problématique).

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Bien évidemment qu’il faut de la clarté et de la cohérence dans notre témoignage, mais justement une fois encore c’est en réagissant comme cela, je veux dire : c’est en choisissant le parti de la force (serait-elle non violente), de l’affirmation de soi ou des siens, que nous compromettons tout à fait et même que nous dénaturons un message qui lui, comme j’ai essayé de le démontrer tout au long de cette intervention, est marqué au coin de la faiblesse par Jésus christ lui-même, comme par ce que disent de lui les écrits néotestamentaires, et comme ce que lui attend des chrétiens d’aujourd’hui comme des disciples d’hier !

 

>>               5.3.3. En défendant ici devant vous une anthropologie chrétienne fondée sur la faiblesse, j’ai au contraire constaté que c’était là notre seule vraie force, ou pour être plus précis : la seule force sur laquelle d’une part, nous puissions appuyer un témoignage véritable rendu à l’amour et à la grâce,  la seule force sur laquelle d’autre part, nous puissions fonder notre être chrétien dont l’importance, je le redis une dernière fois, est non de s’affirmer et encore moins de s’imposer, mais bien d’être simplement là, en cas, à la disposition de tous les autres, tels des passeurs, des relieurs, des metteurs en scène des autres… à l’image du (Bon) Samaritain ! 

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6. BIBLIOGRAPHIE

 

Giorgio Agamben :      Le temps qui reste, un commentaire de l’Epître aux Romains, Rivages, Paris 2000

 

Alain Badiou :                        Saint Paul, la fondation de l’universalisme, PUF, Paris 2002

 

Etienne Balibar :           La proposition de l’égaliberté, PUF, Paris 2010

Citoyen sujet et autres essais d’anthroplogie philosophique, PUF, Paris 2011

 

Christian Ginouvier :     Evangile et Liberté, n° 180-181, août-septembre 2004

 

Pierre Gisel :                 L’excès de croire, Desclée de Brouwer, Paris 1990

 

Gianni Vattimo :         Les aventures de la différence, Les Editions de Minuit, Paris 1985

La fin de la modernité, Le Seuil, Paris 1987

Après la chrétienté. Pour un christianisme non religieux, Calmann-Lévy, 2004 

 

Et puis, même si nous n’avons pas eu le temps de nous pencher sur ce dernier point que j’aurais voulu aborder à titre d’exemple pratique vous pouvez aller sur Internet lire la

Déclaration de la Fédération Protestante de France :

                                   A propos du mariage pour tous, 13 octobre 2012, http://www.protestants.org

 

… par laquelle notre Fédération, à l’instar d’autres confessions, fait état de ses convictions, c’est-à-dire exprime ce qu’elle pense à ce propos, cependant sans rendre du tout témoignage au message que nous sommes sensés porter, dissolvant dans un discours que certains apprécieront et d’autres récuseront, l’ originalité, la spécificité, la portée proprement « autre » de ce message.

Peut-être est-ce que je me trompe, mais n’aurait-il pas été plus pertinent de dire et de faire savoir quelque chose comme : Les Protestants ont des avis différents sur cette question comme sur tant d’autres et cela est tout à fait légitime ; mais si nous ne prenons pas une position plutôt qu’une autre, ce n’est pas seulement pour éviter les tensions parmi nos membres, c’est aussi et surtout parce que nous croyons que Jésus christ nous appelle à accueillir (ou à aller vers) tout un chacun sans condition ni réserve, gracieusement (par la « grâce » de Jésus christ), à accompagner toutes celles et tous ceux qui le demandent, à réfléchir avec celles et ceux qui se posent des questions, ce genre de question justement, c’est parce que nous croyons que Jésus christ nous appelle à nous ouvrir à tous les autres, et de manière concrète à faire de l’Eglise et de nos paroisses des lieux qui demeurent constamment ouverts à toutes les questions, à tous les débats…

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